L'analyse de film avec Deleuze by Jean-Pierre Esquenazi

L'analyse de film avec Deleuze by Jean-Pierre Esquenazi

Auteur:Jean-Pierre Esquenazi
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: CNRS
Publié: 2017-03-15T00:00:00+00:00


Les ruptures du rompu dans la trame du filé induisent tout un système savant de failles dans la charpente du film. Selon les auteurs de Qu’est-ce que la philosophie ?, toute œuvre d’art est faite de ce rapport entre une armature plus ou moins fermée et des brèches par lesquelles elle s’ouvre à l’infinité d’un univers, nous y reviendrons en détail dans le dernier chapitre. S’y lit le travail des forces pliant le territoire du film49. Ainsi nombre d’œuvres cinématographiques se distingueraient par la façon dont elles insèrent le rompu à l’intérieur du filé, dont elles desserrent les stries du second avec des lignes lisses50. Le cinéma moderne y trouverait sa définition51. Mais le cinéma classique ne contient-il jamais de telles brèches ?

« Au choix, on insistera sur la continuité du cinéma tout entier, ou sur la différence du classique et du moderne52 », écrit Deleuze dans Cinéma 2 : il choisit de privilégier l’écart entre cinéma classique et cinéma moderne. Se faisant, il accentue les disparités théoriques entre les deux : ce ne serait plus les mêmes concepts avec lesquels on pourrait comprendre l’un ou l’autre53. Ce n’est pas la perspective qui est adoptée ici. Dès lors que l’on constate la fragilité des mouvements de film, la tension qui s’y installe, la facilité avec laquelle s’y produisent des ruptures, l’on comprend pourquoi nombre de films peuvent admettre des lignes de fracture, de déterritorialisation, qui induisent des espaces temps fissurés, allogènes. Tout film peut devenir « potentiellement » moderne, y compris des films « classiques » comme The Circus, The Searchers, nous le verrons un peu plus tard (la liste pourrait être beaucoup plus longue, à peine dénombrable : dans les cinémas muets allemands, français, suédois, américains, les exemples seraient déjà abondants). On est alors enclin à choisir la continuité de l’histoire du cinéma, sans disjoindre un cinéma moderne d’un cinéma classique, même si la rupture que représente l’après-Seconde Guerre est considérable. Certes l’incompossibilité de L’Année dernière à Marienbad (1961, Alain Resnais) est plus radicale que celle de Rashômon, car elle est en quelque sorte « plus objective », ne dépendant plus de l’émotion d’un personnage. Cependant l’un et l’autre films ont besoin d’une armature afin d’y introduire fissures et trouées qui en éprouvent l’assise.

Il existe bien une construction territoriale dans Rashômon, dont on suppose la continuité, autour des trois lieux que sont le tribunal, le portail de Rashômon et la forêt, chacun jouant son rôle dans le récit et sa dramatisation. Pourtant le film nous offre des moments où le fil se brise, où le présent se fissure au profit d’une présence absorbant tout passé et tout futur. Les séquences que nous avons appelées « La rage du soleil », « La vision de Tajômaru », « Le désespoir de Masako » ne sont-elles pas des « situations optiques et sonores pures », où le personnage est plongé dans une situation qui le dépasse et l’emporte ? Nous détectons, incrustées dans le cours du film, des scènes qui ouvrent des brèches dans la composition territoriale de la dramatisation.



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